L’inflammation est un processus physiologique normal, nécessaire à la survie. Il permet à l’organisme de répondre à une agression (infection, blessure, toxine). Cependant, lorsqu’elle devient chronique, l’inflammation est au cœur de nombreuses pathologies modernes : maladies auto-immunes, troubles digestifs, obésité, diabète de type 2, voire dépression. Le système digestif est à la fois victime et acteur de cette inflammation silencieuse. Explorons ici les liens entre inflammation, microbiote, immunité, et alimentation, ainsi que les solutions naturelles pour restaurer l’équilibre.
Le système digestif : sentinelle de l’inflammation
Le système digestif ne se limite pas à la digestion des aliments. Il abrite environ 70 à 80 % de notre système immunitaire (Mowat & Agace, 2014) et plus de 100 000 milliards de micro-organismes formant le microbiote intestinal. Cet écosystème complexe joue un rôle fondamental dans la modulation de l’immunité et de l’inflammation.
Le microbiote et l’inflammation
Lorsque le microbiote est équilibré (eubiose), il favorise une réponse immunitaire adaptée. Mais en cas de dysbiose (déséquilibre), certaines bactéries pathogènes peuvent produire des toxines et provoquer une inflammation locale, qui peut devenir systémique, ce qui signifie que l’inflammation peut atteindre le corps dans son ensemble. La dysbiose est ainsi impliquée dans des maladies comme la maladie de Crohn, la colite ulcéreuse, le syndrome de l’intestin irritable, mais aussi des troubles extra-digestifs (fatigue chronique, arthrite, maladies de peau…).
Maladies auto-immunes : quand le système immunitaire déraille
Les maladies auto-immunes résultent d’un dérèglement du système immunitaire, qui se met à attaquer les cellules, tissus ou organes de l’organisme, les prenant à tort pour des agents pathogènes. Ce phénomène entraîne une inflammation chronique, des lésions tissulaires, et une dégradation progressive des fonctions de l’organe touché.
Parmi les principales pathologies auto-immunes, on retrouve :
- la polyarthrite rhumatoïde (atteinte des articulations),
- le lupus érythémateux disséminé (atteinte systémique),
- la sclérose en plaques (atteinte du système nerveux central),
- la thyroïdite de Hashimoto (atteinte de la glande thyroïde),
- la maladie cœliaque (atteinte de l’intestin grêle liée au gluten),
- la MICI (Maladie Inflammatoire Chronique de l’Intestin – Maladie de Crohn, Rectocolite hémorragique)
- le diabète de type 1 (atteinte des cellules productrices d’insuline dans le pancréas).
Une progression inquiétante
Ces pathologies sont en forte augmentation depuis les années 1970, surtout dans les pays industrialisés. Cette évolution ne peut s’expliquer uniquement par la génétique. Les chercheurs pointent un ensemble de facteurs environnementaux susceptibles de déclencher ou d’aggraver ces maladies chez des individus génétiquement prédisposés. Parmi eux : l’hygiène excessive, la pollution, les infections virales, le stress chronique, une alimentation transformée… et surtout la santé intestinale.
L’axe intestin-immunité : un acteur clé dans les maladies auto-immunes
Plusieurs études récentes mettent en lumière le rôle central du microbiote intestinal et de la perméabilité intestinale dans le développement de maladies auto-immunes.
Le rôle de la dysbiose
La dysbiose intestinale correspond à un déséquilibre du microbiote (perte de diversité, dominance de bactéries pathogènes ou inflammatoires). Ce déséquilibre perturbe la communication entre le microbiote et le système immunitaire local. Les bactéries commensales, habituellement protectrices, deviennent incapables de remplir leur fonction régulatrice.
En conséquence, certaines bactéries pathogènes peuvent sécréter des lipopolysaccharides (LPS), des composants inflammatoires capables de traverser une barrière intestinale fragilisée et de déclencher une réponse immunitaire systémique.
Le « leaky gut » : intestin poreux et inflammation
La notion de perméabilité intestinale accrue, aussi appelée « leaky gut », désigne une altération de la barrière intestinale. Normalement, cette barrière est très sélective : elle laisse passer les nutriments mais bloque les agents pathogènes, toxines et macromolécules indésirables.
Or, sous l’effet du stress, de certains aliments inflammatoires (gluten, additifs), de médicaments (AINS, antibiotiques) ou d’une dysbiose, cette barrière devient plus perméable. Cela permet le passage dans le sang de molécules étrangères (fragments alimentaires, endotoxines bactériennes…) qui activent le système immunitaire, parfois jusqu’à provoquer une auto-agression.
Zonuline : une clé du mécanisme
Découverte par le Dr Alessio Fasano, la zonuline est une protéine régulant l’ouverture des jonctions serrées entre les cellules de la paroi intestinale. Une surproduction de zonuline, observée notamment chez les personnes sensibles au gluten ou en cas de dysbiose, augmente la perméabilité intestinale.
Dans son étude phare de 2012, Fasano explique que l’activation chronique de la zonuline est un préalable commun à l’installation de nombreuses maladies auto-immunes : en altérant la barrière intestinale, elle ouvre la porte à une dérégulation immunitaire. (Fasano, 2012)
Le mimétisme moléculaire : une confusion biologique
Un autre mécanisme suspecté dans l’auto-immunité est le mimétisme moléculaire. Il se produit lorsque des fragments protéiques issus d’aliments mal digérés, de bactéries ou de virus ressemblent à certaines structures de notre propre corps. Le système immunitaire, en tentant d’éliminer ces intrus, attaque par erreur les tissus similaires de l’organisme.
C’est ce qu’on observe dans la maladie cœliaque, où des anticorps dirigés contre la gliadine (une fraction du gluten) croisent parfois ceux dirigés contre des protéines de la paroi intestinale ou de la thyroïde.
L’alimentation : un acteur clé de l’inflammation
Nos choix alimentaires influencent directement le microbiote, la perméabilité intestinale et donc l’inflammation.
Aliments pro-inflammatoires :
- Sucres raffinés : présents dans les pâtisseries, sodas, biscuits industriels… Ils provoquent des pics de glycémie, favorisent le stress oxydatif et la glycation des protéines, un processus qui endommage les tissus et déclenche une réponse inflammatoire.
- Huiles riches en oméga-6 (tournesol, maïs, soja) : bien que nécessaires en petites quantités, un excès d’oméga-6 déséquilibre le ratio oméga-6/oméga-3, favorisant la production de prostaglandines pro-inflammatoires (PGE2).
- Additifs, alcool, gluten (chez les personnes sensibles) : ces éléments peuvent fragiliser la muqueuse intestinale, favoriser une hyperperméabilité (leaky gut), et contribuer à la stimulation du système immunitaire de manière inappropriée.
- Produits ultra-transformés : bourrés d’additifs, de sucres cachés et de graisses de mauvaise qualité, ils appauvrissent la diversité du microbiote, favorisent la dysbiose et augmentent le risque inflammatoire chronique.
Aliments anti-inflammatoires :
- Oméga-3 (poissons gras comme maquereau, sardines, saumon sauvage, mais aussi graines de lin, de chia, noix) : ils favorisent la production de médiateurs anti-inflammatoires (prostaglandines de type 3 et résolvines).
- Fruits et légumes colorés : leur richesse en antioxydants, polyphénols, vitamines et fibres douces aide à neutraliser les radicaux libres, à moduler l’immunité et à nourrir les bonnes bactéries intestinales.
- Épices (curcuma, gingembre) : de véritables trésors anti-inflammatoires naturels. Le curcuma (via la curcumine) et le gingembre (grâce au 6-gingérol) possèdent des effets comparables à certains anti-inflammatoires non stéroïdiens, sans leurs effets secondaires.
- Fruits rouges, huile d’olive extra vierge, avocats, petits poissons gras : ces aliments riches en bons gras, en polyphénols et en antioxydants protègent les cellules, renforcent la barrière intestinale et participent à l’équilibre global de l’organisme.
Réduire l’inflammation : stratégies naturelles
Nourrir et réparer le microbiote
- Fibres prébiotiques : topinambour, poireau, oignon, ail, salsifis, artichaut. Ces fibres nourrissent les bonnes bactéries.
- Probiotiques naturels : choucroute crue, kimchi, kéfir, miso non pasteurisé.
- Postbiotiques : acides gras à chaîne courte (butyrate), produits par la fermentation des fibres, régulent l’inflammation intestinale.
- Réduction des antibiotiques inutiles, pesticides, stress, tabac : ces facteurs altèrent le microbiote.
Restaurer la barrière intestinale
- Zinc, vitamine A, vitamine D : impliqués dans la régénération de la muqueuse intestinale.
- Bouillon d’os ou collagène : apportent glycine et proline, nutriments des cellules intestinales.
- Aloe vera, orme rouge, réglisse déglycyrrhizinée : plantes adoucissantes pour la muqueuse.
Réguler le système immunitaire
- Vitamine D : modulatrice de l’immunité innée et adaptative (Aranow, 2011). La majorité des personnes vivant dans les pays tempérés en manquent.
- Curcumine, quercétine, resvératrol : antioxydants puissants aux effets immunomodulateurs.
- Activité physique régulière : réduit les cytokines pro-inflammatoires et stimule le microbiote. Je vous invite à consulter les deux articles en lien avec le sport : Sport et santé et Sport et troubles digestifs.
Gérer le stress chronique
Le stress perturbe le système nerveux entérique (notre « deuxième cerveau ») et modifie la composition du microbiote. Le cortisol fragilise la barrière intestinale et favorise l’inflammation. Pour limiter son impact :
- Cohérence cardiaque, yoga, sophrologie, réflexologie plantaire, auriculothérapie.
- Sommeil réparateur : essentiel à la régénération cellulaire et immunitaire.
Zoom sur quelques plantes et nutriments phares
Élément | Action | Sources |
Curcuma (curcumine) | Anti-inflammatoire, antioxydant, modulant la perméabilité intestinale | En extrait concentré avec pipérine |
Gingembre | Anti-inflammatoire digestif, stimule la digestion | Râpé frais, en infusion |
Quercétine | Antihistaminique naturel, régule les cytokines | Oignons rouges, câpres, pommes |
Omega-3 (EPA/DHA) | Anti-inflammatoires systémiques | Petits poissons gras, huiles de poisson |
L-glutamine | Réparation de la muqueuse intestinale | Supplémentation, aliments riches en protéines |
Vitamine D | Immunomodulatrice | Soleil, foie de morue, complémentation |
Zinc | Réparateur tissulaire, anti-inflammatoire | Fruits de mer, œufs, graines de courge |
L’inflammation chronique de bas grade est un « feu intérieur » souvent silencieux, mais délétère à long terme. Le système digestif, au carrefour de notre immunité et de notre relation à l’alimentation, en est souvent l’origine. Prendre soin de son microbiote, privilégier des aliments simples et anti-inflammatoires, soutenir la barrière intestinale, moduler son stress : voici les piliers fondamentaux pour prévenir ou accompagner les troubles inflammatoires.
Ce n’est pas une question de régime passager, mais de mode de vie durable. La bonne nouvelle, c’est que chaque repas, chaque geste de soin ou d’apaisement compte.